- ARRIÉRATIONS INTELLECTUELLES
- ARRIÉRATIONS INTELLECTUELLESUne expression aussi simple en apparence que celle d’arriération intellectuelle doit-elle être définie? Assurément, puisque aucune des définitions qui ont été formulées n’a pleinement donné satisfaction.Dans une première étape, l’arriération intellectuelle fut différenciée de la folie et de la démence; sa diversité fut ensuite établie. Seguin puis Binet, se rapportant à la réussite ou à l’échec à des épreuves étalonnées, en établirent les degrés.On a défini et classé les arriérations intellectuelles sur les données psychométriques: déficience légère pour Q. I. 50-70, déficience moyenne Q. I. 35-49, déficience grave Q. I. 20-34, déficience profonde Q. I. 麗 20 (classification internationale des maladies, neuvième révision). Cela a eu surtout pour intérêt de permettre l’évaluation du handicap social; en fait, il s’est avéré nécessaire de pondérer les données du Q. I. par l’importance des pathologies associées au handicap mental et la qualité de l’environnement socio-éducatif (classification multiaxiale de Rutter); si la nécessité d’une éducation spécialisée est constante pour des Q. I. inférieurs à 50, au-dessus il faut tenir compte des facteurs associés.L’analyse psychologique des mécanismes opératoires a conduit à individualiser certains traits caractéristiques de l’arriéré intellectuel. Piaget et Inhelder ont montré que le déficient léger est capable de constructions opératoires mais inachevées, c’est-à-dire d’opérations concrètes par opposition aux opérations formelles, alors que les déficients moyens et profonds se révèlent incapables de toute construction opératoire. Les opérations concrètes, qui se constituent chez l’enfant normal vers 6 -7 ans, portent uniquement sur des objets tangibles susceptibles d’être soumis effectivement à expérience ou sur des représentations d’objets. À l’inverse, les opérations formelles – que l’enfant normal met en œuvre approximativement vers 11-12 ans – concernent les idées seules: un énoncé purement verbal de problème par exemple. Le raisonnement, établi à partir de pures hypothèses, prend alors la forme de déductions successives exprimées en un langage quelconque: celui des mots, celui des symboles mathématiques, etc. Ainsi, et singulièrement dans les formes mineures d’arriération, le sujet poursuit un développement semblable à celui de l’enfant normal, mais à une allure plus modérée, conservant plus longtemps l’empreinte du système de raisonnement qu’il est pourtant parvenu à dépasser, si bien qu’il y revient plus volontiers.1. Les variétés cliniquesAucune description fidèle des arriérations intellectuelles ne peut reposer sur un seul des critères qui ont permis de les définir. Des variations individuelles – au même titre que celles que l’on constate chez les sujets d’intelligence normale – qualifient chaque arriéré et l’individualisent.Il est cependant habituel de distinguer plusieurs variétés cliniques.Les formes les plus sévères (de 5 à 7 p. 100 des arriérations) sont habituellement repérables dès les premiers mois de la vie. L’enfant est apathique, sans mouvements spontanés, indifférent aux objets brillants, ne réagissant pas à la voix de sa mère. Lorsque celle-ci le prend dans ses bras, il reste inerte. Sa bouche demeure ouverte, laissant s’écouler la salive. Des mouvements incessants des yeux, des mâchoires sont quelquefois notés, cependant que l’enfant émet sans cesse un cri monotone. Même chez ces enfants, dont la vie est purement végétative, on peut observer à la longue des acquisitions et notamment la marche, voire la possibilité de dire quelques mots. Au prix d’efforts considérables en famille ou en établissements spécialisés, ils peuvent acquérir quelques habitudes, telles la propreté, la possibilité de s’alimenter seuls, l’obéissance aux consignes gestuelles ou verbales. Mais ils ne pourront jamais atteindre une autonomie sociale, même réduite.Ce degré majeur de l’arriération intellectuelle correspond aux déficiences profondes (Q. I. inférieur à 20). Classiquement, le niveau du développement intellectuel ne dépassera pas celui de l’enfant normal de 2 à 3 ans. Le Q. I. de ces enfants est inférieur à 20.Les formes moins sévères (de 18 à 20 p. 100 des arriérations) ne se révèlent pas de façon aussi évidente au cours de la première année. On observe toutefois que ces enfants sont lents à acquérir le contrôle postural de la tête, la station assise, la marche, le langage. Très tôt, cependant, ils remuent sans cesse et cette instabilité peut aller en s’accentuant. Leur activité constante, désordonnée, s’exacerbe à la moindre sollicitation: leur intérêt ne peut se fixer. Le degré de cette instabilité conditionnera pour une grande part le niveau des acquisitions. Il en est de même du développement du langage, parfois longtemps insuffisant. Ces sujets acquièrent plus ou moins facilement la possibilité d’exécuter les tâches usuelles de la vie quotidienne. Dans les meilleures conditions, ils bénéficieront d’un apprentissage et pourront être employés dans des limites étroites, sous surveillance quotidienne, à des activités ne comportant aucune responsabilité. Les possibilités d’un apprentissage scolaire en écriture et en lecture ne sont pas exclues, mais les sujets n’en font aucun usage.Ces formes cliniques correspondent aux déficiences moyennes (Q. I. 35-49) et graves (Q. I. 20-35). Classiquement, le niveau du développement intellectuel ne dépasse pas celui de l’enfant de 6 à 7 ans.À un degré moindre encore (75 p. 100 des arriérations), ce n’est habituellement que lors de l’entrée à l’école que le déficit intellectuel se révèle. Et c’est plus encore à l’occasion des difficultés observées lors des premiers exercices scolaires qu’il prendra sa véritable dimension. La gravité du handicap va dès lors devenir évidente. L’instabilité n’atteint jamais ici un degré comparable à celle du débile profond. Très souvent, à l’inverse, ces enfants sont calmes, placides, obéissants, et leur comportement diffère peu d’un comportement normal, en dépit de leur déficience intellectuelle. Mais si des mesures pédagogiques et éducatives ne sont pas prises rapidement, leur comportement va s’altérer; l’inhibition ou l’instabilité, les manifestations d’opposition vont apparaître. À l’inverse, les acquisitions scolaires élémentaires sont possibles: la lecture, l’orthographe, les premiers rudiments du calcul. Plus tard, une formation professionnelle spéciale leur permettra, dans les meilleurs cas, d’accéder à une vie sociale autonome.Cette variété d’arriération intellectuelle est en réalité encore plus polymorphe que les autres, car plus sensible à la constellation des perturbations instrumentales et affectives qui peuvent s’associer au déficit de l’intelligence.Et les notions traditionnelles sont ici encore plus arbitraires qui veulent que, pour cette déficience légère, le niveau du développement intellectuel ne dépasse pas 10 ans, que le Q. I. soit compris entre 50 et 70.D’autres symptômes plus ou moins évidents contribuent à singulariser les arriérations intellectuelles.Ainsi, des troubles moteurs sont souvent constatés. Ils peuvent être l’expression d’un retard global du développement – et le terme de débilité motrice associée peut être utilisé – ou être le résultat d’une lésion focalisée des voies motrices provoquant, selon les cas, hémiplégie, dystonie, mouvements anormaux, etc. Le handicap moteur (comme dans le cas de la maladie de Little avec retard intellectuel) peut être au premier plan.De même, les troubles du langage , fréquents chez les arriérés, ne sont pas toujours en relation étroite avec le degré du déficit intellectuel. Certains débiles étonnent par leurs possibilités, véritables psittacismes, d’autres ont un déficit encore plus important que ne le laisserait supposer l’atteinte intellectuelle.Les possibilités d’adaptation à des situations nouvelles sont habituellement limitées, mais leurs modalités sont très variées. Tel sujet réagit immédiatement, mais de façon éphémère; tel autre ne réagit qu’avec retard ou semble indifférent. L’attention est habituellement labile, même si la mémoire apparaît chez certains excellente, pouvant aller jusqu’à l’hypermnésie.Les réactions affectives sont volontiers considérées comme peu différenciées et transitoires. En fait, elles connaissent toutes les nuances propres à l’enfant normal, mais modulées par les possibilités d’adaptation et la situation vitale souvent difficile de ces sujets.Aussi l’évolution de la sexualité connaît-elle des vicissitudes, cependant que des conduites psychotiques et névrotiques s’extériorisent parfois.Le développement physique n’est pas lié au développement intellectuel; s’il est fréquent d’observer un retard staturo-pondéral chez les arriérés, l’inverse peut aussi être noté. La constatation d’anomalies viscérales, morphologiques ou métaboliques orientera l’enquête étiologique.2. ÉtiologieL’étude statistique de la distribution des niveaux d’intelligence donne une courbe d’allure bimodale, ce qui suggère – et nos connaissances sur le déterminisme des oligophrénies le confirment – que les arriérations intellectuelles ne constituent pas un groupe homogène limité aux seules variations statistiques de l’intelligence.Les arriérations endogènesLes arriérations endogènes résultent de l’équipement génétique de l’individu; elles représentent 80 p. 100 des cas. Leur dissociation clinique devient de plus en plus subtile à mesure que les anomalies de l’équipement chromosomique et génique sont mieux connues (actuellement 10 p. 100 des cas). Les aberrations chromosomiques constitutionnelles peuvent porter sur le nombre des chromosomes ou sur leur structure, elles peuvent intéresser les autosomes ou les gonosomes. Selon R. Turpin (1965), leur fréquence est de 6,05 pour 1 000, dont 1,5 p. 1 000 dans le cas du mongolisme (trisomie 21).Les erreurs innées du métabolisme , consécutives à une anomalie enzymatique d’origine génétique, connue ou supposée, perturbent en permanence la maturation ou le fonctionnement cérébral. Elles entraînent une déficience mentale globale et progressive, assimilable à une arriération, lorsqu’elles se manifestent dès les premiers mois de la vie. Leur groupement, provisoirement établi en fonction de leur retentissement sur le métabolisme glucidique, protidique et lipidique, est indiqué dans le tableau ci-contre.Mais le groupe le plus fréquent des arriérations endogènes est constitué de sujets sans particularités cliniques ou biochimiques. L’arriération est en général d’un degré modéré; son déterminisme est inconnu.Les arriérations exogènesLes arriérations exogènes (20 p. 100 des cas) sont consécutives à des agressions survenues avant ou au cours de la naissance et lors des premiers mois de la vie, sur un cerveau en développement. Une maladie infectieuse de la mère – touchant aussi l’embryon ou le fœtus – ou de l’enfant, un traumatisme, une intoxication peuvent être responsables de ces arriérations, qui constituent plus d’un tiers des formes cliniques sévères. Voici la liste de leurs principales causes.a ) Maladies infectieuses :– anténatales: rubéole, toxoplasmose, syphilis, maladie des inclusions cytomégaliques,– néonatales et postnatales: méningites, encéphalites;b ) Agents toxiques ou médicamentaux agissant sur l’embryon ou le fœtus:– radiations ionisantes,– antiprothrombiques de synthèse;c ) Traumatisme obstétrical , auquel participent:– des causes fœtales: prématurité, postmaturité,– des causes maternelles: âge, diabète,– des causes obstétricales;d ) Encéphalopathie hypoglycémiquee) Encéphalopathie hyperbilirubinémique (ictère nucléaire):– maladie hémolytique du nouveau-né par incompatibilité Rh, ABO, etc.,– prématurité.f ) Facteurs mécaniques gênant le développement du cerveau (hydrocéphalie, microcéphalie).L’hypothyroïdie congénitaleElle mérite d’être individualisée car ce fut, historiquement, la première arriération accessible à un traitement. Par son origine variée (troubles héréditaires de l’hormonogenèse thyroïdienne, crétinisme endémique, agénésie ou ectopie du corps thyroïde et parfois atrophie secondaire à l’usage des médications antithyroïdiennes pendant la grossesse), elle participe des déterminismes endogènes et exogènes.3. Prophylaxie et thérapeutiquePar leur fréquence – de 3 à 5 p. 100 de la population –, par l’inadaptation qui en est la rançon habituelle, les arriérations intellectuelles doivent préoccuper la société. Celle-ci doit s’efforcer de promouvoir les méthodes éducatives, de réaliser les externats et internats, et de former le personnel nécessaire à l’éducation des arriérés dont un grand nombre peut accéder à une certaine autonomie. Encore faut-il que parents et éducateurs considèrent avec lucidité le handicap irréductible qui naît de l’insuffisance de l’intelligence.L’abord médical préventif vise à diminuer le nombre des arriérés profonds et à limiter le retentissement de certaines affections sur le développement cérébral. Il comprend plusieurs volets:a ) sur les arriérations endogènes:– recours au conseil génétique en cas de pathologie familiale connue, ou après un premier enfant déficient,– dépistage anténatal des maladies grâce à des techniques devenues moins dangereuses, plus précises, d’utilisation plus précoce: amniocentèse (à la 17e semaine pour caryotype chez les femmes de plus de 38 ans), fœtoscopie et embryoscopie, prélèvements directs dans le cordon ou par biopsie des villosités choriales (8e semaine), étude de l’ADN fœtal,– dépistage et traitement néonatal de certaines pathologies métaboliques (hyperthyroïdie, phénylcétonurie);b ) sur les facteurs exogènes:– immunisation rubéolique avant l’âge de conception,– surveillance obstétricale (échographie) permettant le dépistage et la prise en charge des grossesses pathologiques,– amélioration de la réanimation néonatale structurelle et technique (exsanguino-transfusion).4. Problèmes pédagogiquesLa notion d’arriération intellectuelle est nécessairement liée à celle du développement de l’intelligence et, en pratique, du quotient intellectuel. Une question est souvent posée: le Q. I. est-il réellement constant chez un sujet donné? En réalité, discuter sur la constance du Q. I., c’est méconnaître la psychométrie. En effet, selon qu’il qualifie un enfant en cours de développement ou un sujet ayant achevé sa croissance mentale, le Q. I. recouvre des réalités différentes. Dans le premier cas, il exprime la précocité ou le retard par rapport à une norme établie en fonction de l’âge, assimilant ainsi l’arriéré à un enfant normal plus jeune. Dans l’autre cas, il implique la position du sujet arriéré par rapport à son groupe d’âge. La signification du Q. I. diffère selon les épreuves qui le déterminent. La fidélité du Q. I. qui recouvre la notion de constance ne peut être qu’une notion statistique, donc soumise à des fluctuations normales. Les variations, qui restent discrètes, tiennent aux fondements théoriques et techniques sur lesquels reposent les épreuves et à l’intervention possible, à tout moment, de facteurs événementiels. Le Q. I. n’est pas une traduction simple, immédiate, mécanique de l’intelligence, mais il représente une information fondamentale dans l’appréciation de celle-ci.La limite supérieure de l’arriération a été, arbitrairement, fixée à un Q. I. de 70, mais les exigences d’une société de plus en plus technique ne peuvent se satisfaire d’aptitudes voisines de ce quotient. Ainsi tend-on à élever la limite supérieure de l’arriération intellectuelle à des Q. I. de 75, voire 80. Les nouvelles exigences d’une scolarité prolongée seront une invitation à élever encore ce chiffre, et la confusion va se développer entre retard scolaire et insuffisance intellectuelle.Les critères d’éducabilité sociale et scolaire qui différencient les arriérés éducables des autres sont à discuter dans la mesure où les efforts actuels tendent à adapter les conditions éducatives au déficient intellectuel, et non le déficient intellectuel aux exigences de l’éducation.
Encyclopédie Universelle. 2012.